Chroniques et coups de coeur

 

                        DANIEL CHARNEUX – À propos de Pre ( éd. M.E.O. 2020 )




 

    Daniel Charneux est un conteur d’âmes. Ouvrir ses romans, c’est s’assoir en sa compagnie comme au jardin pour l’entendre nous parler d’hommes et de femmes à ne pas oublier. Ici : Steve Prefontaine, immense athlète américain, précurseur rebelle des années 60-70 qui écrivait ses courses, tel un artiste, à l’encre des légendes. 

    L’auteur, précisément le narrateur ami de « Pre », nous confie que le fondeur « enragé » se punissait les lendemains de défaites en s’entraînant jusqu’à la douleur : cette douleur choisie des sportifs absolus. Pre condamnait toute autre souffrance que celle des foulées. « Mais si chacune est une douleur ? Abstrais-toi. Regarde le ciel… » Pas de romans sans quête spirituelle ( lisez Nuage et eau ), pas d’écriture sans la philosophie douce d’un être qui voit les oies en migrations et les processions de fourmis quand il court lui-même. Car l’auteur sait de quoi il cause ! 

    Amateurs d’athlé, de contes modernes et de destins épatants, À propos de Pre vous enchantera. « Thanks for the memory », Mister Charneux ! 


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Cathy Galliègue - Contre-nature ( Seuil, 2020 – 266p )

                               


    Ce troisième roman de Cathy Galliègue est un coup de poing dans les murs des hommes. L’auteure donne la parole à trois femmes, et cependant que nous les rencontrons, une question émerge : Comment laisser éclore la vie pleine dans un monde où la beauté est une offense, un fruit piétiné, une tragédie ? 

    Page après page, nous découvrons les entailles, les enfers, la source des larmes « en lisière », et par-dessus tout : l’obstination de ces femmes à trouver une consolation, un lieu où s’éblouir. Sauf qu’elles sont en prison. «  Ce qui est bien dans ma cellule, c’est qu’elle est si petite qu’elle me contient à peine. » Cette phrase illustre la force du roman. Inviter une lueur, l’inventer même, au cœur du drame. Alors ce lieu cherché  s’ouvre, inattendu : le livre. Le livre lu et le livre écrit, le livre miraculeux qui repousse les murs, embrasse le silence atroce et l’ennui, apaise enfin, et offre une réponse à ma question. 

    Vient l’heure du « mal joli », dans un final à trois voix, apothéose de ce cri d’amour pour l’humain, et pour les mots. 



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L’île longue – Victoire De Changy ( éd J’ai lu – 2019 / 184p )



    Aventurer son écriture dans une ode à la liberté exige une finesse et une plume habile. Dès les premières pages, on devine que l’auteure n’encombrera son texte d’aucun discours, le roman est tendu vers sa cible, et le voyage touche, tracé dans les dédales de Téhéran où, pour s’aimer, il faut trouver toujours un lieu secret, où l’on appelle un voisin « celui qui partage la même ombre ». 

    Une femme y rencontre un destin aux côtés de Tala, orpheline d’une mère dont elle ignore tout sauf l’expression d’une douleur. Les détails portent sens et nourrissent, entre une poupée enfouie comme un prénom qui se dévoilera plus tard, et des pas vers la mer qui s’écrivent épaule contre épaule. Sobrement, le souffle du voyage est appuyé par les Rubaïyats, quatrains d’Omar Kayam, texte ambassadeur de l’éternité poétique et de la beauté, « incitation à vivre haut, sans regret », écrit De Changy. 

    Une grâce enveloppe le récit, l’éclat de la poétesse et la science de la romancière s’allient pour enchanter et faire de l’île longue un roman de lumière et de soie.


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                            Mayacumbra / Alain Cadéo ( éd. La Trace – 2019 )




Le hameau recroquevillé comme un être perdu sur la hanche d’un volcan promet des rencontres, on le sait. Car ceux qui habitent là, ceux que l’on dit du bout du monde, on les voit vivre au cœur de tout, quand on s’approche. Et ce cœur de tout ne se laisse pas écrire par le premier venu. 

    «  C’est un vent sans nuances qui dégringole du sommet et qui apporte son odeur de glace et de silex. Théo a bien calé la porte pour qu’elle ne batte pas. » Voilà le style Cadéo. Le souffle du monde, et l’homme qui le respire, y cherche l’harmonie, avec son âme ancienne qui a toujours faim de pas, de vrai, d’une chaleur aussi. 

    L’homme au prénom de Dieu, auprès de son âne qui porte le pain et la poésie, vit sur une montagne prête à gronder. La terre est ici la peau d’une bête, elle a son caractère d’enfant sous l’apparente sagesse des hauteurs. « Marcher, observer, traverser chaque tranche de monde avec l’œil d’un nouveau-né ou celui d’un aveugle ayant recouvré la vue ». C’est ainsi qu’il existe, l’homme Théo. Et c’est de cette façon que Cadéo nous offre d’être lecteurs.



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Elise / Marcel SEL – ( éd. Onlit, 2019 – 438p )

 


    

    Opéra du sordide, Elise est une œuvre majeure écrite dans la continuité de Rosa, premier opus éclatant ( et récompensé à sa juste valeur ) de Marcel Sel. L’ouverture, puissante et maîtrisée, donne à voir ce qu’il faut de l’atrocité, dessine l’un de ces crimes odieux dont les hommes en guerre sont capables. Nous rencontrons dans leur agonie, qui semble aussi l’agonie de l’espoir, des femmes goûteuses au service d’Hitler. 

    Ces femmes, le romancier nous les présente au fil du récit et les décompte en même temps. Procédé lugubre et sans faille, comme inspiré de l’implacable cruauté nazie. L’art des grands romans sombres est de distiller la lumière, à laquelle vient boire le lecteur, entre les mots, dans les contrastes. Quelle naïveté touchante Sel insuffle à l’héroïne qui, au son du Masurenlied, s’émeut de la perfection de l’Allemagne, sa patrie ! En dépit de son regard sévère sur la dictature, elle crie, à l’instant de la chute, le salut au Führer. Pourquoi ? Voilà ce que souhaite comprendre un homme qui l’aime, et dont nous suivons les pas. 

    Féroce et grave, Elise est un roman de haute humanité, un incontournable voyage littéraire.


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