samedi 22 janvier 2011

la cage aux cris


Je suis né comme une fleur sous un orage de juin, à dix heures, pendant que les haricots sortaient tous ensemble au fond du jardin.
Ma petite sœur est venue sous le soleil quatre ans plus tard, pendant que je m’ennuyais chez la voisine d’en face.
J’ai oublié ce que j’ai vécu entre mon matin d’orage et son matin de soleil , mais ce jour-là me revient clair et net : le jardin jaune, et ma mère assise comme une sainte mère des pauvres dans les plis de sa jupe rêche, avec un sourire de femme nue.
Sarah dormait dans des habits blancs très doux. C’était un petit paquet de vie rose et chaud, si petit que j’eus très peur quand je la regardai pour la première fois. Je savais déjà que j’étais moi-même léger, fragile, car sous les fessées de mon père, je perdais pied, retombais ailleurs sur les mains, ou sur mon derrière qui recevait une double correction. Mais Sarah, la pauvre, elle ne pesait rien du tout. Une fessée l’aurait déformée, brisée peut-être.
Heureusement, elle n’en reçut pas une seule, jamais. Et pour m’expliquer qu’elle était frêle, mon père, Joseph, m’interdit de la prendre dans mes bras. Il me l’interdit ce jour-là une fois pour toutes. C’est pour cela qu’elle me manque.
Nous habitions une grande maison blanche sur les hauteurs de Liège. Pendant plusieurs années, je dormis dans la grande chambre du second, mais dès que ma petite sœur cessa de ne rien peser, j’émigrai dans la pièce voisine, juste large pour un lit, un bureau d’enfant, une table de nuit, et moi debout.

De ma première chambre, je me souviens d’une farce que nous avions jouée à mon père. C’était un samedi de décembre où saint Nicolas devait passer à la télévision avec son âne triste et son fouetteur d’enfants. Nous devions attendre, pour le voir, que mon père vienne nous chercher, alors, un grand rire dans les mains, piétinant et dansant, Sarah tentait de tuer le temps, qui ne se laissait pas faire.
– J’ai une idée, bâilla l’un de nous deux. On va se cacher sous le lit pour lui faire une blague.
Bientôt, mon père avala les marches trois par trois ( il ne montait jamais autrement ), et poussa la porte grinçante.
– Où est-ce que vous êtes ?
Tout de suite, mon rire mal étouffé nous trahit, et Joseph se fâcha tout rond,  d’une voix à faire sangloter les murs, emporta ma sœur à son nid et  me laissa devant ma fenêtre grise, avec mon regard d’orphelin et de la pluie dans les yeux. Lorgnant le ciel, je regrettai que saint Nicolas ne fût pas mon père, ou le contraire. Le lendemain, ma petite sœur dut apprendre comme tous les enfants que saint Nicolas n’existait pas, et que notre père ne passerait jamais à la télévision.

L’insouciance est un cadeau plein de couleurs que la vie, hypocrite, offre aux mômes de partout. Ca vous porte jusqu’à l’âge des premières patiences, des premières colères conscientes. L’enfance finie, tu la regardes, ta vie. «  Eh, tu m’as bien eu. » Seulement, on a eu le temps de s’attacher, à soi-même, au moins, à un chien à roulettes qu’on tirait dans l’allée.
Au début de la vie, dépourvus de raison, les petits humains mangent tout, même quand ça pique, même l’amer et les arêtes.
– Mange ! Mange ! Sinon tu ne grandiras pas.
Et je grandissais, et je grandissais, avec de l’amer qui se rangeait sous la peau, quelque part entre deux épines, entre deux arêtes. J’apprenais que l’on ne peut pas repousser son assiette. Et quand j’avais peur ou froid, je croyais que ça venait du dehors.

A dix ans, j’étais le plus grand de la classe, avec Michel : un redoublant. Nous étions cinq garçons pour un bataillon de filles. J’arrivais de l’école de garçons où travaillait mon père. C’est qu’il avait fallu me renvoyer de là le jour où, pour une punition que je ne méritais pas tellement, j’avais hurlé à l’injustice, claqué des portes, insulté de droite et de gauche, alerté la direction. J’avais donc quitté Saint Jean Baptiste pour Sainte Marie, où je m’ennuyais tout autant.

Mon père n’aimait pas Dieu, parce que sa mère avait prié trop fort. Seulement voilà, puisqu’ il avait une place à l’école catholique, il fallut bien nous baptiser, on nous poussa au catéchisme, à la messe du dimanche aussi, les premiers temps. Pourtant, un enfant ne peut rien comprendre à la messe, sinon que le curé est une sorte de chef indien en robe large qu’il faut écouter comme l’institutrice, mais sans jamais poser de questions, et surtout sans rire, ce qui n’est pas gagné. Il comprend aussi qu’il ne fait pas chaud dans les églises, que les fenêtres ont des couleurs de livres d’images, et que les vieux ont peur, mais qu’ils viennent quand même.
Un jour, mon père m’a jeté sur le parvis comme un pauvre mendiant parce que je riais trop aigu. Je m’en souviens parce que, cette fois-là, on s’attendrissait d’un bambin qui pleurait pour tout le monde.
Donc, après le catéchisme et la messe du dimanche, il y eut le banc des communions, puis l’école catholique. Nous passions de lourdes heures à étudier Dieu et le Christ, pendant que Joseph haussait les épaules et grinçait des dents.
– C’est des conneries, il disait. Moi, je crois en moi, c’est déjà pas mal.
Alors on riait ensemble des prêtres et de leurs groupies.
Plus tard, ma mère m’a avoué tout bas qu’elle croyait en lui, en Dieu, mais qu’il ne fallait surtout pas le dire à papa. C’était un secret.




mercredi 19 janvier 2011

http://www.territoires-memoire.be/index.php?page=libre_ecrit_book

"Passage de mémoire" est en librairie...


 ( recueil des textes choisis par le jury du concours de nouvelles orchestré par les Territoires de la Mémoire. )

Présentation de l'ouvrage le samedi 19 mars prochain à 15h
ASBL Barricade - 19 - 20 rue Pierreuse  -  Liège

En présence de plusieurs auteurs publiés, de membres du Jury, et de représentants des Territoires de la mémoire, cette rencontre sera l'occasion de s'interroger sur le sens et l'enjeu des concours d'écriture.

Je lirai quelques extraits du recueil dont je signe la préface, et m'entretiendrai avec les différents acteurs du projet, pour une heure de découvertes et de témoignages, autour d'un verre, dans le plus convivial des lieux littéraires liégeois.