Le Mystère Curtius - éd. Luc Pire / roman policier
Trois amis détrousseurs de poches volent pour leur patron un coffret de pièces anciennes, apparemment oublié dans une cave de la prestigieuse Maison Curtius. Ils ne savent pas que leur trésor hantait depuis plusieurs siècles cette demeure érigée comme un palais sur les bords de la Meuse liégeoise. Ils ignorent également que ce vol a ouvert les trappes d'une aventure faite de dangers et de mystères, où le détective Chantraine pourrait bien perdre la tête.
extrait
-
Range ton couteau. On va négocier.
- Ben justement.
- Range ton couteau.
Ils ont poussé la porte donnant sur
la cour profonde, et ses murs poussiéreux, velus d’herbes sous les toits.
Joseph s’est glissé au-devant des deux autres, et ils ont vu trop tard qu’un
gendarme les précédait. Un costaud rose et rond. Il a levé le menton, cessé de
se gratter sous la chemise.
- Prenez un air de rien, a commandé
Joseph.
Firmin s’est mis à siffloter en
regardant les corniches, il a trébuché dans de la ferraille, juré longtemps. Et
le gendarme semblait attendre, comme armé d’un filet, qu’ils arrivent à
quelques pas. Il a dit alors avec un petit accent des Flandres :
- On peut savoir ce qui vous
amène ?
- Un ami. On vient le saluer.
- C’est son anniversaire, ajoute
Firmin, pendant qu’Ernest allume sa pipe.
Le gendarme prend une allure de roi,
et montrant d’un sourire qu’il les trouve tous les trois bien bêtes, il dit
gravement :
- Un homme est mort, ici, il y a deux
heures, vous voulez souffler les bougies pour lui, ou vous en servir pour
brûler le cadavre ?
Ils veulent avancer, mais l’homme
oppose une main ferme.
- Pas de blagues. Je sais où vous
trouver, les voyous. Vos têtes louches, moi je les connais, c’est mon métier. Faites
demi-tour, et tenez-vous à carreau. Croyez-moi, on va se revoir.
- Où est le corps de not’pote?
Risque Joseph. Je voudrais le voir une dernière fois.
- Oui, insiste Ernest. Si c’était
not’Félix, on voudrait le voir une dernière fois, question de lui souhaiter
bonne route, et que le paradis l’accueille.
- Que le paradis l’accueille, répète
Firmin, les yeux au ciel et les mains en prière.
- La paradis, ça m’étonnerait.
Allez, du vent.
Ils le dévisagent pour lui faire
peur, avant de partir, l’air digne et nonchalant.
Mais sur le chemin du retour, ils se
taisent d’un même silence gonflé de questions et de doutes, d’une honte
surtout, qui leur mord la gorge et les tripes. Se faire berner sans même savoir
comment, ni par qui ! Aucun ne rappellera qu’ils étaient sur le point de
se partager les pièces, ou d’en cueillir dix, plutôt que deux. Ils n’en
garderont qu’un souvenir, maintenant que ce gendarme a promis de les traquer.
- Et si ce n’était pas un
gendarme ? demande Joseph.
- On sait pas, répond Firmin. Mais un
uniforme, ça se chourave, c’est sûr. L’automne dernier, je portais les robes
d’un prêtre, pour vider le tronc de Saint-Denis sans que les fidèles me
zieutent. Bon, en-dessous de la robe, c’était moi, je suis pas curé.
- Et alors qui c’est, le gendarme, s’il
n’est pas gendarme ?
- On sait pas.
Silencieux, Joseph marche en
retrait, et bouscule des cailloux. Ils avaient entrevu les grands jours des
riches, et les voilà rôdant à nouveau. Si le destin s’obstine à les humilier,
faudra-t-il qu’ils s’abandonnent à une vie de citoyen honnête ?
- Moi, dit Firmin, je suis quand même
triste. Pauvre Félix. Non ? Que le paradis l’accueille.
Il ne supporte la mort de personne.
Ça préserve les copains du crime. Joseph, ça ne le gênerait pas d’étrangler des
gorges entourées de perles, plus pour se venger du sort que pour les perles elles-mêmes.
Avec Firmin, ils ont partagé l’orphelinat pendant que les soldats se
charcutaient. Les charcutiers survivants dinent d’une retraite de héros. Alors
il pose la question du mérite.
- On va oublier tout ça, les
copains. Gendarme ou pas, on va suivre son conseil, et se tenir à carreau,
quelques temps. De toute façon, ce n’était pas de l’or.
Ils sont d’accord, d’autant qu’il recommence
à pleuvoir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire