25 langues meurent chaque année
"Qu’autant de
langues soient gommées de la terre, ça me blesse. Un arbre arraché pour couler
du béton, et que ce soit propre et lisse, ça me fait mal aux jambes. Là, une
langue et son peuple aux oubliettes, tous les quinze jours, ça me crucifie.
C’est pas tout le monde, il y en a qui s’en foutent. Je vais faire un bouquin
sur ceux-là, d’ailleurs, je jure que c’est vrai, je vais faire un bouquin sur
le droit de s’en foutre. Parce que c’est peut-être un droit. Mais moi, non, je
peux pleurer pour un peuple exterminé, je peux pleurer pour une langue morte.
Pas maintenant, pas comme ça, mais si je bois un petit peu, ou si je suis seul
trop longtemps, alors je devine dans mes brouillards la solitude de cette
vieille indienne qui parle toute seule la langue de son peuple assassiné, en
disant« pourquoi moi ? » Et puis elle s’en va dans son immense solitude, prier
les autorités américaines d’épargner sa terre en Alaska. Eh bien, si je l’avais
en face de moi, si je croisais son regard déraciné, humilié, son grand regard
d’oubli, avec ses mots que 7 milliards d’humains ne comprennent pas, je serais
capable de lui demander pardon. Je pourrais. Il y a du pétrole en Alaska. C’est
ça, le problème. Le pétrole. Et moi qui n’ai pas de voiture je pourrais lui
demander pardon. Comme les Irlandais à leurs ancêtres. Comme le fera l’humanité
un jour. Comme les petits-enfants des nazis que j’ai vu pleurer dans des bras
juifs, au seuil d’un camp devenu musée. Il ne se peut pas qu’un jour les
humains parlent tous la même langue. C’est le rêve des imbéciles. La même
coiffure, déjà, ça ficherait la trouille. Alors la même langue… Non ?"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire