Elephant Island - medias

SORTIE EN LIBRAIRIE / 4 février 16


Emission En quête de sens (  diffusion sur La Une - avril 2016 )

http://www.rtbf.be/auvio/detail_en-quete-de-sens?id=2099947 

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http://la-ville-en-rose.com/chronique-litteraire-elephant-island-luc-baba/

31/03/16 ( Christophe  Maris )
Il m’a fallu des nuits et des nuits pour aimer l’enfant que je fus.

Elephant Island – Éditions Belfond – 220 pages – 

Sur fond délicat d’une époque que les moins de vingt ans et autres ne connaissent que par le prisme de certains livres d’Histoire, voici le récit d’un enfant, Louis, qui en 1917, à la mort de son père au front, se retrouve placé dans un orphelinat, le Vertbois tout comme son aînée, Rose, elle à Sainte-Barbe, chez les sœurs.
            Euphémisme que de dire combien les conditions de l’époque sont difficiles : tant dans une France et une Belgique défigurées (puisque l’intrigue se déroule principalement près de Liège) par les assauts incessants de l’ennemi teuton, que dans l’enceinte des orphelinats miroir de camps de redressement avec toutes les humiliations que l’on peut deviner. Loin du simple discours, Luc Baba nous narre avec une précision chirurgicale le calvaire qu’ont connu ces gosses placés là pour être encadrés, pour ne pas crever de faim, pour éviter le pire.
            Et si le pire se trouvait derrière les hauts murs de ces institutions publiques ou religieuses ?
            Ce roman dépasse toute imagination et pourtant il est épouvantablement réaliste. Les gosses sont parqués dans le froid, doivent se soumettre à tous les diktats d’une autorité décrétée par une bande d’adultes dégénérés, crèvent de faim, goûtent régulièrement du cachot quand d’aucuns ne sont pas soumis à des gestes douteux. On les use, on les bat, on en fait des loques humaines car un enfant ce n’est pas si important dans une époque où tout le monde est perdu et affolé par la Grande guerre.
luc baba
Photo Luc Baba ©DR
            Pourquoi la mère de ces deux-là les a-t-elle abandonnés aux «bons soins» de l’assistance publique et de l’Église ? Pour qu’ils ne connaissent pas l’horreur ? Parce qu’elle ne se sentait pas de les assumer ? Parce qu’elle percevait déjà la folie qui allait l’emporter ? Parce qu’elle ne pouvait se consacrer qu’au cadet Paul ? Toutes les questions se posent, alors que chaque lecteur ressentira la colère dès qu’il tournera les pages, dès qu’il avancera le regard embué.
            Même abattu, même souvent découragé, Louis ne cédera pas à la barbarie qu’on lui impose au quotidien. C’est un gamin intelligent avec un cœur gros comme ça ; il pense à sa sœur souvent, nourrit des rêves d’évasion et envisage de grands voyages. C’est cette force intérieure et son habileté indéniable face à la bêtise humaine qui lui permettront toujours de se relever (de presque tout).
            Adolescents puis jeunes adultes, les portes de leur prison finissent tout de même par s’ouvrir, parce que la guerre est terminée, parce que l’institution les a assez vus, parce que d’autres prendront leur place en enfer. D’aucuns trouveront un sens à l’existence en fondant une famille, en prenant le chemin de la mine ou de la forge ; d’autres sombreront dans de mauvaises histoires, l’alcoolisme, la violence, fileront directement vers le chemin de la prison. Seuls les battants parviendront à revenir de là. Et Louis, non sans difficultés, sauvera son petit frère, retrouvera la sœur d’autrefois et connaîtra enfin des ciels plus lumineux.
            Par-delà l’histoire romanesque, Luc Baba nous invite subtilement avec des mots simples et des phrases choc à réfléchir sur la condition des enfants d’il y a tout juste un siècle et à mesurer la distance avec les mouflets d’aujourd’hui qui souvent, revendiquent pour un oui, pour un non. C’est aussi un formidable plaidoyer pour dénoncer les agissements qui se tenaient – sous les yeux lâches d’autres adultes – dans les orphelinats d’autrefois. Il faudra tant d’années pour que les choses évoluent, changent, pour que les coups et les débordements, les déviances cessent d’être légion dans ces établissements dévolus à des laissés-pour-compte de la société.
            Livre important et lecture nécessaire pour que l’oubli ne dévore pas certaines vérités.
Christophe Maris, Journaliste – Écrivain – Expert en communication
©MARIS Conseil – mars 2016 – Tous droits réservés
Image de Une collection privée CM



Elephant Island - flash media


coup de coeur
NORD ECLAIR/TEMPS LIBRE

SÉLECTION
UN LIVRE
ELEPHANT ISLAND
LUC BABA

Voilà un livre qui prend aux tripes. Qui fait
écho à Pamcuellos, la BD de Carlos Gimenez
sur les orphelinats après la guerre civile
espagnole, capable dè vous arracher
des larmes. Louis, 7 ans voit la vie déconner.
Son père meurt au front en 1917, sa mère
sombre et croît faire ce qu'il y a de mieux
pour sauver sa progéniture. Maîs de l'autre
côté du mur de l'orphelinat, le monde n'est
que privations, châtiments, humiliations.
Reste le rêve, Tailleurs, la mer et Elephant
Island, terre fantasmée, salutaire. Qu'il est
long le chemin qui mène à la liberté... Long
maîs indélébile au point de marquer
un tournant, de susciter une quête dans la vie d'un Louis devenu homme. •

É. B.
BELFOND, 216 P.


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ENTREZ SANS FRAPPER

 ( radio - La première / podcast )

Elephant Island

http://bisey.pagedeslibraires.fr/livre-9377/elephant-island.html



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Bas du formulaire
En un court roman poignant, Luc Baba conte le destin d’un orphelin de la Grande Guerre placé dans une institution. L’histoire d’une enfance meurtrie, mais portée par le rêve.

Emmanuelle George Librairie Gwalarn (Lannion)

1917 : un homme meurt sur le front belge laissant sa femme et ses quatre enfants dans la misère et le chagrin. Fatalement, leur destin bascule. La fille aînée, Hélène, quitte l’école et travaille désormais aux champs ; Rose et Louis sont « confiés aux bienfaiteurs des Institutions », tandis que le petit dernier, Paul, reste avec leur mère. La fratrie est séparée et leurs enfances saccagées. Dans un monde où la discipline inique et les mauvais traitements font la loi, Louis échange comme il peut quelques lettres de réconfort avec sa petite sœur et tente tant bien que mal de grandir. Son rêve ? Embarquer sur un bateau et prendre le large. Dans ce court roman bouleversant, point de grandes démonstrations ni de belles théories. En quelques phrases poétiques, dialogues percutants, situations éloquentes, tout est dit sur les ravages de la guerre pour ceux restés à l’arrière. Et bien plus encore, les orphelinats y sont vraiment des maisons de redressement, de terribles bagnes. Aux adultes, on réserve aussi le pire des asiles. Que faire face à l’injustice, à la barbarie, au scandale ? Prendre les voiles ? Bien mieux, la plume ! Durant toute sa vie, Louis, petit Rimbaud ou humble journaleux, fut souvent moqué. Mais, à jamais sauvé par sa candeur, sa bienveillance et sa détermination, il sera resté debout. Toujours prêt à ramer.

Lu et conseillé par :

  • Librairie Gwalarn à Lannion Emmanuelle GEORGE
  • Librairie Le Coin des livres à Davézieux Nathalie VIGNE

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Sur le site de la rtbf, recension de Bénédicte Alié - 3 fév. 16








"Elephant Island": nouveau roman poignant de Luc Baba









"Elephant Island": nouveau roman poignant de Luc Baba - © Tous droits réservés

Auteur d'une vingtaine d'ouvrages parmi lesquels des recueils de poésie, des livres pour enfants ainsi que des biographies, l'auteur liégeois Luc Baba revient avec un nouveau roman, son quatorzième, baptisé: "Elephant Island". Inspiré de faits réels, ce livre nous raconte l'itinéraire de Louis qui, en 1917, alors âgé de sept ans, se voit placé dans un orphelinat, loin de sa mère et de sa fratrie...

Lasuite ici : 

https://www.rtbf.be/info/regions/liege/detail_elephant-island-nouveau-roman-poignant-de-luc-baba?id=9202855


                                                                                  ***
De la puissance des songes et des mots
·         Thierry Detienne / Le carnet et les Instants – 4 fév 16

            Luc Baba est loin d’être un novice dans l’art subtil du roman. Depuis une quinzaine d’années, il nous a donné tout autant de volumes et il s’est construit un univers romanesque bien à lui. Tout le monde me manque, paru en 2008, avait marqué une évolution : devenue un rien plus grave, son écriture avait gagné en maturité, incluant davantage la souffrance et la solitude dans des fictions largement dominées par l’onirisme et le merveilleux. Avec Elephant Island, il revisite le monde de l’enfance en replongeant dans l’actualité troublée des années qui ont entouré la première guerre mondiale et l’entre deux guerres. Débutant sur un fait historique, le roman raconte l’épisode de l’Atlas V, cet exploit de la résistance liégeoise. En 1917, utilisant un remorqueur blindé pour l’occasion, quelques têtes fortes tentent de briser la ligne de front allemande et, forçant les obstacles et bravant les tirs, passent en territoire hollandais avec quelques dizaines d’hommes dans les cales de l’embarcation. Louis, un jeune garçon qui aurait donné tout pour être des leurs, est témoin du départ des héros. Ce moment de bravoure et d’aventure restera gravé en lui et lui sera d’un grand secours lorsque son univers se rétrécira par la suite. Devenus orphelins d’un père tué au front par un obus, l’enfant et sa sœur sont placés en institution par une mère qui sombre peu à peu dans la déraison. Dans le monde glauque des pensionnats, la folie des hommes règne en maître absolu à l’abri des regards, qu’elle soit le fait de surveillants tortionnaires aux pratiques arbitraires ou de bonnes sœurs en charge des jeunes filles et obnubilées par la chasteté. Et pour ceux qui pètent les plombs, il y a encore l’asile et les traitements abrutissants que l’on réserve aux forcenés. Dans ces espaces ceints de murs censés protéger les enfants et dont l’ambiance n’a rien parfois à envier à la terreur que fait régner l’occupant, les enfants découvrent en contrepoids la fraternité entre opprimés et les terribles rêves d’évasion.  Pour Louis, cette évasion prend la figure des libres mouvements des étendues d’eau.  Premier bateau en titre, l’Atlas V est rejoint par des navires qui arpentent l’océan des songes du jeune garçon pour des expéditions lointaines et mystérieuses, de celles où l’on revient avec honneur et prestige en cas de succès. Et le nom d’Elephant Island, terre lointaine et inaccessible s’il en est, cristallise cette attirance. Le fleuve, puis la mer, c’est l’infini, l’exact contraire de la réclusion, l’aventure qui mettra fin au huis clos. Sorti de pension, Louis n’a de cesse de vouloir en faire sortir ses proches pour retrouver la douceur de l’enfance perdue. Et puis, très vite, il y a l’amour en la personne de Jeannette qui s’y substitue et très vite l’enfant qu’elle lui donne, et surtout cet emploi de journaliste qui lui fait découvrir la magie de l’écriture. Avec sa pratique quotidienne, il s’approprie le pouvoir des mots et les voyages immobiles qu’ils permettent. Il tente de faire sienne la devise de son rédacteur en chef qui lui glisse « N’annonce jamais une triste nouvelle sans allumer un petit feu d’espoir, jamais ! ». Il trouve le moyen de dénoncer les pratiques des pensionnats, les atrocités des colonies pénitentiaires ou bagnes pour enfants et s’ouvre à la diversité du monde des hommes, trouvant une prolongation à ses rêves de périples lointains. 
           Luc Baba nous a concocté un savant mélange de réalité et de fiction. Le renvoi à des faits d’époque, par touches légères mais réalistes, apporte une dimension d’indéniable intérêt. On y notera par exemple, outre l’épisode de l’Atlas V, l’allusion aux décès en série dans des localités de la vallée de la Meuse prises aux pièges des fumées des usines qui, sans confiner au régionalisme, attestent de la bonne documentation qui nourrit le récit. Mais c’est évidemment dans la tonalité du texte et la prose doucement poétique que l’on trouvera une bonne part de la saveur de ce roman. Les personnages de Luc Baba évoluent dans un halo de lumière et leur vitalité, leur résilience leur permettent de surmonter les obstacles et de sortir de situations les plus noires. Dans cette dynamique, le rôle des rêves partagés et de l’écriture est immense et, loin de les isoler, ils contribuent à rapprocher les personnes dans un ailleurs commun qui leur donne la force d’être présents au monde et d’y tenir le rôle qu’ils choisissent. C’est précisément cette forme de décalage permanent qui donne sa magie au roman et qui, combiné à la charge poétique d’une écriture en pleine maturité, en fait une œuvre aboutie et au charme certain.




http://www.lacauselitteraire.fr/elephant-island-luc-baba

Elephant Island, Luc Baba
Ecrit par Didier Smal 10.03.16 dans La Une LivresLes LivresCritiquesRomanBelfond
Elephant Island, février 2016, 224 pages, 17 €
Ecrivain(s): Luc Baba Edition: Belfond


Comment écrire un roman sur l’endroit où l’on vit, ayant pour cadre l’endroit où l’on a grandi, sans tomber dans le régionalisme pur et dur, à destination d’une collection littéraire subsidiée par une région ayant besoin d’art pour se sentir exister ? Comment, en fait et de manière générale, dire le particulier sans tomber dans le piège du particularisme ? Comment, pour préciser vraiment notre propos, dire l’universel à partir du spécifique sans pour autant perdre de vue le spécifique en question ? C’est la question qu’a dû se poser le Belge Luc Baba (1970) au moment d’écrire son dernier roman en date, Elephant Island, dont l’action se situe pour l’essentiel à Liège, entre 1917 et 1977, mais qui parvient pourtant à toucher le lecteur qui n’aurait jamais mis les pieds du côté de la Batte (un grand marché dominical) ou du Vertbois (un bâtiment du XVIIIe siècle qui a connu de multiples fonctions), un lecteur qui se laisserait emporter par le souffle d’un style juste et d’une histoire universelle : celle des enfants qu’on soumet à et par la violence, et dont pourtant certains parviennent à s’en sortir, par le rêve peut-être, et à être des adultes capables d’écrire parce que la nostalgie a ses limites, écrire parce que l’esprit humain grandit, et qu’il est parfois l’heure de consigner ses actes.
Oh ! qu’on se rassure ! Baba, qui lui-même vit à Liège, n’a pas, heureusement parce que la mode en devient sordide, surtout du côté des romans policiers, écrit un énième roman sur la pédophilie et ses horreurs ; non, il évoque le sort des orphelins, ou plus prosaïquement des enfants abandonnés par leur famille aux bons soins d’institutions où s’exprimait le sadisme le plus vil de la part d’hommes dont, effectivement, ainsi que l’auteur le fait remarquer subrepticement (ce n’est vraiment pas le sujet de son roman), certains abusaient des jeunes gens confiés à leurs soins. Cela faisait partie d’un système global, où l’enfance dans ces institutions était maltraitée, abîmée, détruite, et cela est le sujet d’Elephant Island, et tout roman sur l’enfance n’a le choix qu’entre deux voies : celle de la réussite sous forme d’une narration humaine, rarement empruntée, et celle de la nostalgie, larmoyante ou souriante, peu importe, la plus fréquentée – Baba a réussi son roman.
Celui-ci a pour narrateur un certain Louis Dabée, né en 1910 à Liège, et placé dans un orphelinat, le Vertbois, par sa mère début 1917, tandis que sa sœur Rose est placée dans une institution de jeunes filles tenues par des sœurs, Sainte-Barbe. Chacun à sa façon, les deux enfants seront confrontés à la dureté extrême de ce système, avec d’un côté le règne des coups, de l’autre celui de l’endoctrinement – Rose finira par appartenir à un ordre, duquel elle sortira pour mener une vie laïque et sainte au service des enfants maltraités. En un sens, Louis aussi finira par se mettre au service des mêmes enfants, une fois devenu journaliste (et amoureusement marié, et heureux père), prompt à relayer le scandale de Belle-Ile-en-Mer, ce terrible bagne pour enfants, cette colonie pénitentiaire qui a toujours meurtri et jamais guéri, ou à tenter de mettre en évidence les sévices subis par des enfants à Ciney.
Entre-temps, bien loin d’un roman affligeant ou sombre, Baba parvient à brosser aussi le portrait d’une région bien réelle et bien vivante sous sa plume, évoquant la sidérurgie, les charbonnages, l’Exposition internationale de 1930 ou encore « le Congo suintant l’or ». Il est aussi question du lancier Fonck (le premier belge soldat mort durant la Première Guerre mondiale), des chanteries de coqs, de bouquettes (des crêpes épaisses à manger le lendemain de Noël) et même, indices temporels discrets, d’un « phonographe » et de Tino Rossi. Au passage, le krach boursier de 1929 s’invite même dans ce pourtant bref roman qui, par le double art de l’élagage et du trait précis, parvient à faire entrer tout un univers dans quelques lignes seulement : « En cette année 1930, des hommes se sont défenestrés parce qu’ils avaient perdu beaucoup d’argent, et ce n’était qu’un début. C’est qu’ils y avaient gravé leurs illusions. Pendant qu’ils tombaient sans un cri de leur treizième étage, la Belgique fêtait son anniversaire avec des tambours et des confettis, des trompettes et des éclopés ».
Comme on peut le constater dans le bref paragraphe reproduit ci-dessus, ce qui confond le plus le lecteur, encore plus que le propos de Baba, c’est la sobriété et la justesse de son style, et ce dès les premières pages, du discours moralisateur tenu par le directeur du Vertbois, l’orphelinat où sa mère le laisse (« Le sort a privé votre Louis du soutien paternel, vous le privez de l’amour d’une mère […]. Nous commencerons par le renforcer, car la faiblesse physique est source de souffrance, et vous savez que la souffrance engendre la paresse et l’ivrognerie ») à un témoignage d’une horrible exactitude sur la guerre (« Vous récitez des trucs, j’applaudis, ouais j’applaudis, mais vous n’avez jamais eu de la boue dans vos gamelles, pas vrai, les larves ? Vous croyez quoi ? Que vos pères ils s’écroulent dans une prairie en criant vive la patrie ? Ils pleurent. Ils pleurent de trouille dans leur trou pendant des semaines, et ceux qui refusent de boire l’eau infestée par les cadavres, ils sucent des cailloux pour oublier la soif. Des cailloux. Et puis un matin y a l’officier qui se met à gueuler, alors on se lève, on court, ça siffle, et les têtes éclatent autour de vous qu’on dirait des pommes blettes, et on dit rien, on continue, on court ») ; chaque prise de parole d’un personnage, quels que soient son sexe et son âge, est exacte, comme si Baba s’était ingénié à vérifier chaque petite musique, à faire sonner juste chaque voix entendue, y compris et surtout Rose pour les lettres touchantes qu’elle envoie à son frère.
Quant à celui-ci, pour y revenir, il est confronté à un rêve tôt dans le roman, qui est alors, dans ses premières pages, un roman sur la jeunesse (mais pas nécessairement pour la jeunesse) : partir pour Elephant Island, une île du grand Nord vers laquelle Henry Métivier, un Canadien rencontré au Vertbois où il se cachait, propose à Louis de s’embarquer suite à une petite annonce lapidaire : « On demande des volontaires pour un voyage dangereux. Faible rémunération, froid glacial, longs mois d’obscurité totale, danger permanent. Retour sain et sauf non assuré. Honneur et prestige en cas de succès ». Ces deux ultimes récompenses vont faire rêver Louis, qui n’embarquera jamais (sauf à soixante-sept – ce roman est belge ! – ans, dans un ultime et émouvant de justesse chapitre), mais gardera toujours au cœur ce rêve d’aventure, qui le soutiendra en l’incitant au rêve, même si c’est à propos « d’un enfer, le seul que j’aurais échangé contre quelques-uns de mes paradis, mais un enfer tout de même ».
Tous, à un quelconque degré, avons ou avons eu un Elephant Island, un rêve dont l’irréalisation même a pu posséder sa propre signification : sa seule existence suffisait à combler une vie. C’est à tous ceux qu’a fait rêver une Ile de l’Eléphant que s’adresse ce roman ; quand on disait qu’il avait une portée universelle…

Didier Smal










PISTES DE LECTURE
Luc Baba
Comment vous est venue l’idée d’écrire un roman sur l’enfermement des mineurs ?
J’ai acheté un meuble de seconde-main, et j’y ai trouvé un livre sur les prisons. En l’ouvrant au hasard, je me suis trouvé devant une page où l’auteur parlait des bagnes pour enfants qui sévissaient en France au début du siècle dernier. J’ai su que cela ferait un roman. J’ai alors contacté le bonhomme qui m’avait vendu le meuble. Il est journaliste, et spécialiste de la question de l’enfermement des mineurs. Il m’a proposé de garder le bouquin, et m’a envoyé quelques documents qui ont donné l’impulsion à l’écriture d’Elephant Island.
L’enfance et la privation de liberté semblent être un thème qui vous est cher ?
En effet. La liberté est un thème que je chéris, pas uniquement en écriture. Je supporte mal toute forme d’enfermement, je fuis les horaires et les contraintes. Le monde est habillé de cloisons et de murs, alors je m’invente un monde où je vais librement, dans les champs de la création, depuis que je sais écrire. Quant à l’enfance… J’aime aujourd’hui l’enfant que j’étais, et je nourris ce qu’il m’apporte. L’enfant n’est pas un être libre, par la force des choses. Mais il cherche son chemin, dans cet univers adulte qui enseigne, fixe des limites, cadre, par la force des choses également. Il y a là-dessous des enjeux qui me fascinent et que je questionnerai encore.
L’histoire véridique de Elephant Island vient se greffer sur le récit. Quel en est le lien ?
Une parfaite métaphore. Les événements coïncident dans le temps. Deux enfers simultanés, l’un choisi par des marins explorateurs partis affronter les glaces de l’Antarctique, l’autre imposé à des enfants par des hommes et des femmes sensés les protéger. Cette différence-là révèle l’absurde. Dans les deux cas, la porte de sortie donne sur un enfer nouveau, les marins repartent au combat dans une guerre qui s’éternise, et les orphelins cherchent douloureusement à apprivoiser une liberté qui se dérobe.
Qu’apporte cet éclairage du passé sur le présent ?
Deux choses essentielles à mes yeux.
Quand les humains détiennent un pouvoir, ils sont potentiellement dangereux. L’éducation, la sensibilisation, un éclairage sur l’histoire des hommes, sont autant d’outils qui permettent l’apprentissage du vivre ensemble, dans le respect et les valeurs que nous sommes capables d’élever par-dessus l’horreur. Ce roman met en lumière la cruauté de certains humains qui ne maîtrisent pas leur goût pour le pouvoir. Des soldats meurent sur le front, et des enfants sont maltraités.
Ensuite, je n’aime pas entendre les propos nostalgiques que beaucoup tiennent au sujet d’époques dont ils connaissent trois images d’Epinal. Le monde évolue, certains aspects se dégradent, d’autres s’améliorent, par la recherche et par la lutte. La nostalgie a ses limites. Les années trente avaient du charme, bien sûr, mais pas dans les bagnes où croupissaient des gosses, pas dans nos orphelinats, pas dans la pollution des usines, les mines, les familles sans ressources.
Elephant Island en plus d’être un itinéraire, n’est-il pas aussi un hommage ?
Parfaitement. Un hommage à tous ceux qui se lèvent pour abattre des murs de silence et condamner ceux qui les construisent, un hommage aux journalistes, poètes et hommes de loi qui ont montré du doigt le cauchemar des maisons de correction, un hommage aux gamins qui ont tenu bon, qui ont parlé, veiller à donner mieux que ce qu’ils avaient reçu, et rêvé que l’on raconte un jour leur vie.
Pour terminer, quels sont vos projets d’écriture ?

Ils sont toujours nombreux. Mais ce qui m’occupe avant tout depuis de longs mois, c’est un nouveau roman intitulé « l’arbre d’oubli ». J’y présente un descendant d’esclaves afro-américain, qui, à l’heure de sa retraite, se tourne vers son passé. Il apprend qu’un roi du Bénin vient demander pardon à ses frères noirs, dans sa ville d’Anniston, en Alabama. C’est le début d’un chemin par lequel il souhaite donner sens à sa vie. Je raconte alors l’histoire de ses ancêtres, depuis une forêt du Dahomey, en 1803. Des nouvelles sont en chantier, ainsi qu’un roman jeunesse, et un recueil poétique.

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DEBUT

           C’était une nuit de janvier 1917. J’avais presque sept ans et je voulais monter sur le bateau de Jules, un fou qui promettait de vaincre les Allemands tout seul à coups de bottines. Ma grande sœur  disait non, Louis, il faut rentrer, il est tard et j’ai froid, mais je restais là couché contre elle sur la berge, les yeux perdus dans l’air mouillé où passaient de longues silhouettes. Je ne me souviens pas du froid, seulement de la bruine et de mon envie de voyager. Je voulais un bateau, et celui-là se préparait à descendre le fleuve, tant pis s’il était noir.
         - Hé, les gosses, vous allez nous faire prendre, il faut pas rester là, rentrez chez vous.
         Je ne répondis pas, et le grand gars qui nous avait découverts rejoignit les hommes qui embarquaient encore. Parmi eux mon oncle Gustave, casquette et ventre rond, mains dans les poches. C’est lui qui m’avait confié le secret du départ. Je vais leur montrer que j’en ai sous la culotte, il m’avait dit. On ne prétendra plus que je suis un grand couillon buveur de goutte ! 
         - Si vous voyez mon père dans les batailles, faudra lui dire de m’envoyer une lettre.
         Il avait promis de le ramener vivant.
         La Meuse en crue roulait large et pleine mais le remorqueur ne bougeait pas, lourd des tôles qui le blindaient, le gouvernail protégé par des couvercles de caisses à charbon, il pesait sur l’eau. Les gars s’entassaient dans les cales pour rejoindre les Pays-Bas et de là les champs de bataille. Je me moquais bien de partir au combat, j’étais l’enfant explorateur convaincu de pouvoir dompter les tempêtes, ce que j’aurais fait sans cette guerre, je le sais. Un rêve d’enfant ça n’existe pas, les enfants savent ce qu’ils veulent, c’est tout. Ils savent ce qu’ils sont.
         

commentaire :


 Cette page d'histoire de la résistance liégeoise, méconnue, a laissé son nom à un pont : le pont Atlas, en Coronmeuse, où l'on peut voir une représentation sculptée du remorqueur. 


                                                    ***


- Rose, que feras-tu à Sainte-Barbe ?
         - Je chanterai et j’apprendrai mes leçons. Et j’aurai un lit pour moi toute seule. Et le dimanche on mangera de la tarte au riz.
         - Et toi, Louis ? Que feras-tu au Vertbois ?
         - Je deviendrai grand et j’étudierai un beau métier.
         - Bon, en route !
         - Non !
         Je voulais qu’elle nous parle encore, qu’elle explique comment on allait réussir à ne pas mourir de son absence, pourquoi elle nous avait menti à propos de la plus laide chose du monde, qu’elle nous dise quand on se retrouverait, si on pourrait s’enfuir et combien de bateaux partiraient sans moi, je demandai si je pouvais emporter mon avion, mais elle voulait le garder pour elle. Elle nous fit asseoir et je la vis sur le point de nous confier un secret, pas un petit secret de chambre, non, un secret capable de nous clouer au sol trois nuits entières.
         Elle se contenta de nous demander d’être forts, et je n’osai pas lui répondre que je serais invincible.
         Chargés de son silence, on descendit vers les quais de la Meuse dont je regardai le lent chemin d’eau grasse en serrant la main de Rose de plus en plus fort. 

commentaire :

L'orphelinat de Sainte-Barbe et celui du Vertbois ont existé tous deux. Sainte-Barbe est aujourd'hui une maison de repos et d'accueil intergénérationnel. Quant au Vertbois, il abrite aujourd'hui le siège du Conseil économique et social de Wallonie. 





- Bien, je vous prie donc d’écrire votre nom sur les dalles, afin que chacun s’en souvienne.
         Au bout de quelques secondes glaciales, Ernest expliqua qu’il n’emportait pas de crayon au repas.
         - Dans ce cas, utilisez votre langue.

commentaire :

Je n'ai inventé aucune forme de maltraitance évoquée dans ce roman. Il était essentiel que cette part soit issue de témoignages. Parfois, j'attribue à un lieu des actes commis dans un autre du même type. 


- Une fois revenus sur la terre vivante, ils ont retrouvé leurs forces et leurs esprits, et ils ont demandé depuis quand la guerre était finie, et ils ont appris qu’elle n’était pas finie du tout, qu’elle faisait des millions de morts. Des millions. Et parce qu’elle n’était pas finie, cette putain de guerre, on leur a pas laissé le temps de respirer l’air de chez eux, ils ont dû rejoindre les combats, et il y en a qui sont morts d’un coup de fusil. 

commentaire :

Voilà précisément l'épisode qui me décida à intégrer au roman l'histoire de Shackleton et se son équipage. La métaphore en devient idéale, car c'est aussi une guerre nouvelle que l'on vit en quittant un lieu d'enfermement.

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