mardi 27 décembre 2011

Petit florilège de fin d'année pour « les belles phrases » d'Eric Allard - chronique de Philippe Leuckx

Tango du nord de l'âme de Luc Baba
(Ed. M.E.O., 2012, 96p.)

Des poèmes denses et écrits sur et au pourtour de la ville, chantée, dans ses replis, ses creux, ses larmes, ses pas, qu'un vrai poète anime en beautés renouvelées d'images qui donnent sens et voie.
De qui parler si ce n'est d'un passant dérisoire? Quelqu'un qui n'aurait d'autre passé qu'un « sang doux d'un pitre », flairant « au chandail noir des oiseaux/ ...une injure de Dieu »?
La beauté naît de quelques vers où l'art est de changer l'habituel comme changer « l'air en vin ».
Les métaphores sont drues, coupantes :
« Le rire
Est son fauteuil roulant ».
C'est un univers de créneaux pauvres, où « le soir en porte d'acier » ne porte guère « L'homme du trottoir », ce pauvre passant « sourd Aux fenêtres de sa conscience ».
Cet « homme d'en bas » , jacklondonien en diable (cf. People of the abyss), n'a ni futur ni visage, bien à l'image des dévoyés d'aujourd'hui, sans ressources, laissés-pour-mécomptes.
Une lucidité jusqu'à la lie le décrit dans « un bal musqué des hommes sans tain », tellement transparents qu'on les traverse sans les voir, sans place, sans rien.

mercredi 21 décembre 2011

la timidité du monde - extrait

Dans ta main le temps aux lèvres d’acier
Grignote les fruits, et le rouge
Et tu ris, toi, parce que tu es l’enfant
Au regard mal crié


Haillons de vagues
Ciel touareg
Chuchotements d’un désert d’eau
Pas bien vêtus
Mais d’une couleur qui soigne la plaie




Je laisse le bleu des regs
Inventer en moi des clowns
Fouler au talon les nuages
Et nous mangeons des boîtes à fleurs en riant du désastre

mardi 13 décembre 2011

ruban noir de la Meuse

Comme j'ai mal à ma ville, ce soir, et à ses gens qui tremblent d'effroi. Pauvre vieille abattue à l'arrêt de bus. Gamins fauchés par les balles et les éclats de grenade. Enfant pris entre vie et mort. Liège, ma cité debout, j'ai marché là-haut sur la colline pour regarder le ruban noir de la Meuse, dans le petit froid mouillé de décembre, un ruban noir qui traverse le front de Liège, et nous sommes 200 000 à porter la jarre des larmes, si lourde, nous sommes 200 000 à y boire en partage. Et le pain chaud des coeurs, pourtant! Comme il est bon en ce jour de grande peine. Merci à ceux de France et d'ailleurs qui envoient par ici tant d'amitié.

mardi 22 février 2011

Extrait de la nouvelle parue dans "suivez-mon regard",
recueil dirigé par Armel Job et Christian Libens

Le petit rouge de Liège

Il y avait deux coiffeurs dans le bas de la rue, autour du café des Italiens : Jean le coiffeur, et Joseph le coiffeur. Il faut que je t’en parle, de cette rue. Elle commence dans l’ombre du Palais, et finit là-haut entre jardins et verger. Une rue qui monte aussi fort, tu vois, c’est un pays à elle toute seule, ou une montagne, avec sa vallée qui gronde comme un chien couché sur la pierre, et dans les pierres, il y a l’Histoire, et puis tu as les premiers pavés. Ces pavés-là, ils te font boiter dans le tournant à t’en déformer les genoux. Plus haut, ça monte droit, les jardins s’élargissent, et jusqu’à la ferme de la Vache, ça va, on monte à pieds sans se dégrafer les poumons. Après ça, il y a la chapelle, et le Christ en croix déployé qui disait « Oh, c’est pas le Golgotha, non ? Respire, gamin ! » Enfin tu as la grosse épaule de la rue, et là, c’est vert de trois façons : la prairie, avec son troupeau sous les pommiers, le parc bien comme il faut pour prendre l’air autour de l’hôpital, et les jardins communaux sur le flanc.
La vie, c’était surtout en bas, tu t’en doutes. C’est là qu’on ragote, qu’on sait que la femme de chose est malade de la tête, et que le vieux voisin qui parle comme toute la Sicile commence à se taire bizarrement.
Je te parle de tout ça, c’était du temps où mon père était l’un de ces gosses, un de ceux qui poussaient le vieux à vélo. Le vieux, il arrivait en criant : « Allez, les enfants ! » Et ils venaient le pousser au dos, en bons petits Simons de Cyrène. Tout ça pour dire que c’était il y a longtemps.
Un jour, Jean le coiffeur et Joseph le coiffeur, ils ont arrêté de coiffer, et ils sont morts presque juste après, c’est normal. Je veux dire, ils s’ennuyaient tellement qu’ils s’asseyaient tout le temps, on peut mourir de ça.

samedi 22 janvier 2011

la cage aux cris


Je suis né comme une fleur sous un orage de juin, à dix heures, pendant que les haricots sortaient tous ensemble au fond du jardin.
Ma petite sœur est venue sous le soleil quatre ans plus tard, pendant que je m’ennuyais chez la voisine d’en face.
J’ai oublié ce que j’ai vécu entre mon matin d’orage et son matin de soleil , mais ce jour-là me revient clair et net : le jardin jaune, et ma mère assise comme une sainte mère des pauvres dans les plis de sa jupe rêche, avec un sourire de femme nue.
Sarah dormait dans des habits blancs très doux. C’était un petit paquet de vie rose et chaud, si petit que j’eus très peur quand je la regardai pour la première fois. Je savais déjà que j’étais moi-même léger, fragile, car sous les fessées de mon père, je perdais pied, retombais ailleurs sur les mains, ou sur mon derrière qui recevait une double correction. Mais Sarah, la pauvre, elle ne pesait rien du tout. Une fessée l’aurait déformée, brisée peut-être.
Heureusement, elle n’en reçut pas une seule, jamais. Et pour m’expliquer qu’elle était frêle, mon père, Joseph, m’interdit de la prendre dans mes bras. Il me l’interdit ce jour-là une fois pour toutes. C’est pour cela qu’elle me manque.
Nous habitions une grande maison blanche sur les hauteurs de Liège. Pendant plusieurs années, je dormis dans la grande chambre du second, mais dès que ma petite sœur cessa de ne rien peser, j’émigrai dans la pièce voisine, juste large pour un lit, un bureau d’enfant, une table de nuit, et moi debout.

De ma première chambre, je me souviens d’une farce que nous avions jouée à mon père. C’était un samedi de décembre où saint Nicolas devait passer à la télévision avec son âne triste et son fouetteur d’enfants. Nous devions attendre, pour le voir, que mon père vienne nous chercher, alors, un grand rire dans les mains, piétinant et dansant, Sarah tentait de tuer le temps, qui ne se laissait pas faire.
– J’ai une idée, bâilla l’un de nous deux. On va se cacher sous le lit pour lui faire une blague.
Bientôt, mon père avala les marches trois par trois ( il ne montait jamais autrement ), et poussa la porte grinçante.
– Où est-ce que vous êtes ?
Tout de suite, mon rire mal étouffé nous trahit, et Joseph se fâcha tout rond,  d’une voix à faire sangloter les murs, emporta ma sœur à son nid et  me laissa devant ma fenêtre grise, avec mon regard d’orphelin et de la pluie dans les yeux. Lorgnant le ciel, je regrettai que saint Nicolas ne fût pas mon père, ou le contraire. Le lendemain, ma petite sœur dut apprendre comme tous les enfants que saint Nicolas n’existait pas, et que notre père ne passerait jamais à la télévision.

L’insouciance est un cadeau plein de couleurs que la vie, hypocrite, offre aux mômes de partout. Ca vous porte jusqu’à l’âge des premières patiences, des premières colères conscientes. L’enfance finie, tu la regardes, ta vie. «  Eh, tu m’as bien eu. » Seulement, on a eu le temps de s’attacher, à soi-même, au moins, à un chien à roulettes qu’on tirait dans l’allée.
Au début de la vie, dépourvus de raison, les petits humains mangent tout, même quand ça pique, même l’amer et les arêtes.
– Mange ! Mange ! Sinon tu ne grandiras pas.
Et je grandissais, et je grandissais, avec de l’amer qui se rangeait sous la peau, quelque part entre deux épines, entre deux arêtes. J’apprenais que l’on ne peut pas repousser son assiette. Et quand j’avais peur ou froid, je croyais que ça venait du dehors.

A dix ans, j’étais le plus grand de la classe, avec Michel : un redoublant. Nous étions cinq garçons pour un bataillon de filles. J’arrivais de l’école de garçons où travaillait mon père. C’est qu’il avait fallu me renvoyer de là le jour où, pour une punition que je ne méritais pas tellement, j’avais hurlé à l’injustice, claqué des portes, insulté de droite et de gauche, alerté la direction. J’avais donc quitté Saint Jean Baptiste pour Sainte Marie, où je m’ennuyais tout autant.

Mon père n’aimait pas Dieu, parce que sa mère avait prié trop fort. Seulement voilà, puisqu’ il avait une place à l’école catholique, il fallut bien nous baptiser, on nous poussa au catéchisme, à la messe du dimanche aussi, les premiers temps. Pourtant, un enfant ne peut rien comprendre à la messe, sinon que le curé est une sorte de chef indien en robe large qu’il faut écouter comme l’institutrice, mais sans jamais poser de questions, et surtout sans rire, ce qui n’est pas gagné. Il comprend aussi qu’il ne fait pas chaud dans les églises, que les fenêtres ont des couleurs de livres d’images, et que les vieux ont peur, mais qu’ils viennent quand même.
Un jour, mon père m’a jeté sur le parvis comme un pauvre mendiant parce que je riais trop aigu. Je m’en souviens parce que, cette fois-là, on s’attendrissait d’un bambin qui pleurait pour tout le monde.
Donc, après le catéchisme et la messe du dimanche, il y eut le banc des communions, puis l’école catholique. Nous passions de lourdes heures à étudier Dieu et le Christ, pendant que Joseph haussait les épaules et grinçait des dents.
– C’est des conneries, il disait. Moi, je crois en moi, c’est déjà pas mal.
Alors on riait ensemble des prêtres et de leurs groupies.
Plus tard, ma mère m’a avoué tout bas qu’elle croyait en lui, en Dieu, mais qu’il ne fallait surtout pas le dire à papa. C’était un secret.




mercredi 19 janvier 2011

http://www.territoires-memoire.be/index.php?page=libre_ecrit_book

"Passage de mémoire" est en librairie...


 ( recueil des textes choisis par le jury du concours de nouvelles orchestré par les Territoires de la Mémoire. )

Présentation de l'ouvrage le samedi 19 mars prochain à 15h
ASBL Barricade - 19 - 20 rue Pierreuse  -  Liège

En présence de plusieurs auteurs publiés, de membres du Jury, et de représentants des Territoires de la mémoire, cette rencontre sera l'occasion de s'interroger sur le sens et l'enjeu des concours d'écriture.

Je lirai quelques extraits du recueil dont je signe la préface, et m'entretiendrai avec les différents acteurs du projet, pour une heure de découvertes et de témoignages, autour d'un verre, dans le plus convivial des lieux littéraires liégeois.